
Les faits
Un salarié a été engagé en qualité de rectifieur par la société Savoie rectification le 15 juillet 2013. Il a été licencié pour faute grave par lettre du 29 novembre 2017 pour avoir fait régner un climat de peur au sein de l'entreprise et d'avoir repris ses horaires d'équipe de l'après-midi sans l'accord de son employeur, qui l'avait affecté en équipe de nuit pour limiter ses contacts avec les autres salariés.
Le salarié a contesté cette rupture devant la juridiction prud'homale.
La cour d'appel de Chambéry le 8 mars 2023, a jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur à verser diverses indemnités au salarié.
Elle a estimé que les preuves fournies par l'employeur, notamment les témoignages anonymes recueillis par huissier de justice, n'étaient ni recevables, ni probants. Les témoignages ne comportaient ni l'identité des témoins, ni leur qualité au sein de l'entreprise, ni la période durant laquelle ils auraient travaillé avec le salarié.
En conséquence, la cour d'appel a conclu que l'existence d'une faute grave n'était pas démontrée.
La société a formé un pourvoi contre cette décision, invoquant notamment la recevabilité de témoignages anonymisés recueillis par huissier de justice.
La position de la Cour de cassation
Par un arrêt du 19 mars 2025 (Cass. soc., 19 mars 2025, n° 23-19.154, Publié au bulletin), rendu au visa de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, la chambre sociale de la Cour de cassation a donné raison à l'employeur.
La Cour de cassation a partiellement cassé l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry. Elle a jugé que les témoignages anonymisés, bien que rendus anonymes a posteriori pour protéger leurs auteurs, étaient recevables et indispensables à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur.
La Cour de cassation a estimé que l'atteinte au principe d'égalité des armes était strictement proportionnée au but poursuivi, c'est-à-dire assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. Elle a donc décidé de ne pas écarter des débats les constats d'audition aux fins de preuve établis par huissier de justice.
L'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel de Lyon pour un nouvel examen.
L'apport
Ce pourvoi pose une question de principe sur la recevabilité ou admissibilité de la preuve issue de témoignages de salariés anonymisés, c'est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, mais dont l'identité était connue de l’employeur et de l’huissier de justice qui a procédé à l'audition de ces témoins, au regard de l'article 6, § 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du principe de liberté de la preuve en matière prud'homale.
Ainsi, la notice afférente à cette décision vient lier cet arrêt à la jurisprudence de la Cour de cassation à propos de l’admissibilité des témoignages anonymisés, c'est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, mais dont l'identité était connue de la partie qui les produit, après un arrêt publié prononcé récemment (Cass. soc., 19 avr. 2023, n° 21-20.308, Publié au bulletin.).
La Cour de cassation a récemment fait évoluer la jurisprudence sur le droit à la preuve en matière civile, en jugeant dans un arrêt d’assemblée plénière du 22 décembre 2023 (pourvoi n° 21-11.330, Publié au bulletin), que « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats », de sorte qu’une cour d’appel ne peut pas déclarer irrecevable un moyen de preuve au motif que, s’agissant des transcriptions d’enregistrements clandestins d’entretiens, il a été obtenu par un procédé déloyal, alors qu’il lui appartenait, lorsque celui lui est demandé, de procéder à un contrôle de proportionnalité.
Ces arrêts avaient fait l'objet d'un commentaire par le Cabinet INVICTAE que vous pouvez retrouver ( ici ).
La Cour de cassation a en conséquence censuré l’arrêt et procédé elle-même au contrôle de proportionnalité, en concluant que la production de ces témoignages anonymisés était indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur tenu d'assurer la sécurité et de protéger la santé des travailleurs et que l'atteinte portée au principe d'égalité des armes était strictement proportionnée au but poursuivi.
Pour aller plus loin :
Comments