Photo by RODNAE on Pexels
Dans deux arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (21-19.232 ; 21-11.359), le 8 février 2023, il est question de l'étendue de l’obligation de reclassement imposée à l’employeur en fonction de la rédaction de l'avis d'inaptitude.
Les faits
Dans le premier arrêt, une aide-soignante est engagée en 2012 par l’association Les Feuillantines aux droits de laquelle vient l’association Groupe sos séniors. Le 25 juin 2016, la salariée est placée en arrêt du travail à la suite d’un accident du travail. Lors de sa visite de reprise du 12 juin 2018, le médecin du travail la déclare inapte à son poste et l’avis mentionne expressément « l’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
En conséquence, le 10 juillet 2018, la salariée est licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Elle saisit le Conseil de prud’hommes de demandes relatives à la rupture du contrat de travail, faisant valoir notamment un manquement à l'obligation de reclassement l'association employeur faisant partie d'un réseau plus large au sein duquel elle aurait du être reclassée. Dans un arrêt du 14 mai 2021, rendu par la Cour d’Appel de Bourges, elle est déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif que l’association a respecté ses obligations concernant la recherche de reclassement.
Pour cause, elle constate que l’avis d’inaptitude mentionnait expressément que l’état de santé de la salariée faisait obligation à tout reclassement dans l’emploi. Ainsi, l’employeur était dispensé de rechercher et proposer à la salariée des postes de reclassement. Elle ajoute qu’il ne peut y avoir de groupe dans une association dès lors que l’existence de liens capitalistiques est une condition préalable à sa reconnaissance. L’association n’était donc pas assujettie à l’obligation de recherche de reclassement au sein d’un groupe.
La salariée forme un pourvoi en cassation. Elle fait valoir que l'association doit se voir appliquer la jurisprudence applicable aux groupes de sociétés, à savoir que lorsque le médecin du travail déclare un salarié inapte à l’emploi en mentionnant expressément dans son avis que l’état de santé fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur n’est pas dispensé de son obligation de recherche de reclassement au sein du groupe.
*********
Dans le second arrêt, une employée polyvalente de restaurant est engagée en 2001 par le Comité d’établissement de Maisons-Alfort de la société Bio Springer. Le 31 mai 2016, la salariée est placée en arrêt du travail. Le 11 juillet 2017, le médecin du travail la déclare inapte à son poste. L’avis mentionne alors « Inapte. « L’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans cette entreprise. Echange avec l’employeur en date du 4 juillet 2017 (étude de poste faite). ».
Le 20 juillet 2017, la salariée est licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Elle saisit le Conseil de prud’hommes de demandes relatives à l’exécution et à la rupture du contrat de travail et d'un manquement au reclassement. Le Conseil de prud’hommes accueille ses demandes. L’employeur interjette appel. Dans un arrêt du 1er décembre 2020, rendu par la Cour d’Appel de Paris, le licenciement est reconnu sans cause réelle et sérieuse et le comité d’entreprise est condamné au versement de diverses sommes. La Cour d’appel considère d’abord que le médecin n’a pas indiqué que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, mais « dans un emploi dans cette entreprise ». Elle relève l’existence d’un groupe de reclassement entre le comité d’entreprise et la société Bio Springer, en raison d’une permutabilité du personnel. En conséquence de quoi, le comité d’entreprise n’est pas dispensé de son obligation de rechercher un reclassement au sein de la société Bio Springer qui fait partie du même groupe.
L’employeur forme un pourvoi en cassation et fait grief à l’arrêt de dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Selon lui, l’employeur peut rompre le contrat de travail du salarié inapte s’il justifie de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail de ce que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Il considère que c’est le cas dans l’avis d’inaptitude, en l’espèce. De plus, l’impossibilité d’un reclassement dans l’emploi signifie que le salarié ne peut plus exercer en raison de son état de santé altéré, quel que soit le poste proposé. Finalement il invoque qu’il n’existe pas de permutabilité du personnel et donc de groupe, car le comité d’entreprise et la société n’avaient pas la même activité, organisation et lieu d’activité, ni même de lien juridique.
La solution de la Cour de cassation
Dans un arrêt du 8 février 2023 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation (21-19.232), le pourvoi formé par la salariée est rejeté au visa de l’article L. 1226-12 du code du travail.
Au titre de cet article, « l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie […] de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi ».
C’est pourquoi, dès lors que « l’avis d’inaptitude mentionne expressément que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans l’emploi […] l’employeur était dispensé de rechercher et de proposer à la salariée des postes de reclassement ».
Sa position est différente dans le second arrêt du 8 février 2023 (21-11.356), car la formule utilisée dans l’avis d’inaptitude n’est pas la même. Ici, La Cour de cassation soulève que le médecin du travail a mentionné que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement, mais qu'il a ajouté la mention "dans l’entreprise". Et, dès lors qu’il existe un groupe de reclassement, « l’employeur n’était pas dispensé de rechercher un reclassement au sein de la société Bio Springer et avait ainsi manqué à son obligation de reclassement ».
La portée de l’arrêt
Tout d'abord le raisonnement de la Cour entérine, sa jurisprudence classique suivant laquelle dès lors que le médecin du travail mentionne expressément dans son avis que « l'état de santé du salarié déclaré inapte fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi », l’employeur est dispensé de rechercher à le reclasser et peut procéder librement au licenciement (Cass. soc., 8 juin 2022, 20-22.500).
Si dans le premier arrêt, elle précise la portée de cette solution en admettant que la mention expresse du médecin du travail excluant le reclassement dans l’emploi s’applique autant dans l’entreprise qu’au niveau du groupe, le second arrêt vient rappeler que les avis d'inaptitude s'interprètent strictement.
=> Ainsi si le médecin du travail mentionne une impossibilité de reclassement uniquement au sein de l’entreprise, le reclassement doit être rechercher au sein du groupe.
En soi, rien de vraiment étonnant lorsqu'on connaît l'historique de la mise en place des avis médicaux d'inaptitude, en effet, ceux-ci proviennent de modèle réglementés (on en avait parlé en 2017 ; ici) .
Les modèles actuellement utilisés prévoient 2 cas de dispense de reclassement.
Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé;
l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Ce faisant, l'on peut en déduire que le médecin concerné dans la seconde instance a fait une précision supplémentaire "dans l'entreprise", ce qui a induit qu'un reclassement pouvait être recherché.
Comments